La Loi du Sanctuaire est sorti depuis huit mois maintenant.
Au fil de vos retours, j’ai reçu de nombreux compliments sur l’univers, et en particulier sur mes dragons tous mignons (il faut reconnaître qu’ils sont l’argument de vente numéro 1 du roman, ou presque). On m’a plusieurs fois réclamé une suite où ils joueraient un rôle plus important…
Sauf qu’écrire un roman, c’est long (voire très long), et que ma pile à écrire est bien fournie.
Une nouvelle, par contre…
Je vous ai donc rédigé une petite surprise : un court supplément en accès libre, écrit du point de vue de Flocon et proposé ci-dessous. Si vous souhaitez éviter la lecture en ligne, vous pouvez le télécharger en version pdf ou en version epub.
J’espère que ça vous plaira, je me suis beaucoup amusée à l’écrire.
Avertissement : cette nouvelle se déroule en parallèle du roman La Loi du Sanctuaire, pendant le chapitre 18. Elle dévoile des éléments de l’intrigue et part du principe que l’univers et les personnages sont connus.
Une matinée à Sarano
La caresse des premiers rayons du soleil réchauffe tes écailles et te réveille, tu t’étires en dépliant tes ailes pour te gorger de cette chaleur. Personne ne t’a dérangé, ce toit était un parfait endroit pour te remettre de tes émotions. Les vibrations pernicieuses de celui qui suinte de magie t’ont poursuivi toute la soirée, tu as cru qu’elles s’incrusteraient jusque dans tes os. Heureusement, elles se sont estompées en milieu de nuit.
Tu détestes la magie.
Les visions colorées que tu as captées en te glissant entre les arbres devraient cependant plaire à celle qui rayonne de jolies images. Elles semblaient importantes pour elle, tu te réjouis à l’idée de sa joie quand tu les lui partageras.
Mais pas tout de suite, tu es trop bien installé au soleil pour avoir envie de bouger. Tu laisses tes pensées prendre de l’ampleur, se mêler à celles de tes camarades les plus proches.
Les émotions fusent et s’enchevêtrent, les réflexions rebondissent les unes sur les autres dans un ballet aussi familier que réconfortant. Un enthousiasme éclatant de fierté prédomine pour le moment, entrecoupé d’images de nourriture. Certains se sont visiblement essayés avec succès au chapardage sur les rebords de fenêtres. Ils perçoivent ta présence et t’invitent à partager leur butin, mais tu ne t’es jamais fait aux aliments des bipèdes, tu préfères décliner leur proposition.
Tu pousses ton esprit un peu plus loin, jusqu’à te laisser tenter par l’excitation qui émane de la forge. La douce chaleur irradiant de l’endroit le rend presque aussi désirable que le bâtiment aux jolies images… Les pleins-de-magie qui occupent habituellement les lieux semblent absents, trois de tes congénères en ont profité pour s’introduire dans l’atelier et y improviser des jeux.
Tu t’envoles pour les rejoindre, leurs pensées t’indiquant le chemin à emprunter. Tu es assez mince pour te glisser à travers les barreaux déformés de la grille principale, quelques battements d’ailes te mènent ensuite à l’intérieur.
L’un de tes camarades s’est lové au milieu des braises rougeoyantes, il embrase ses écailles pour saluer ton arrivée avant de se rouler en boule dans son nid de chaleur. Son contentement sature l’atmosphère, mais tu préfères rejoindre les deux qui jouent au sol avec des objets tombés de l’enclume. Vous savourez le chaud contact du métal contre vos pattes. Vos ressentis se mêlent, se répondent, se complètent.
Une vague de colère brise cependant la perfection de l’instant quelques minutes plus tard. L’un des occupants des lieux est de retour, découvre votre présence et s’apprête à vous chasser par magie… Vous vous dispersez maladroitement, avant qu’il puisse mettre sa menace à exécution.
De retour à extérieur, vos pensées s’entrelacent de nouveau. Quelqu’un suggère de s’installer au-dessus du four de la boulangerie, mais c’est trop fréquenté à ton goût. Le moment est peut-être venu de rejoindre le bâtiment aux jolies images. Tu pousses ton esprit jusqu’à celle qui les projette, mais ne perçois que des échos décousus de rêves. Elle dort encore.
Tes camarades suivent tes réflexions avec curiosité, mais sans la surprise des premiers jours. Ils se sont faits à l’idée d’une bipède sans la moindre magie, certains lui rendent même visite de leur côté. Mais c’est toi qu’elle préfère, toi qui braves la magie pour elle, toi à qui elle a donné un nom !
Cette farouche revendication amuse les autres plus qu’elle ne les vexe. Leurs pensées tourbillonnent un instant autour de toi pendant qu’ils se concertent : puisqu’elle t’aime bien, elle partagera sûrement de jolies images. Autant t’accompagner pour en profiter… Vous vous mettez donc en route.
Vous traversez la ville, prenant de la hauteur pour survoler l’océan rougeâtre de ses tuiles. Sans grande surprise, les curieux à écailles se multiplient tandis que vous approchez de la chambre de ton amie, trois d’entre eux sont même assoupis sur son toit.
Tes camarades les rejoignent, mais tu poursuis ton vol plus loin, en quête d’un endroit calme. Inutile de vous entasser avant son réveil, que tu percevras de toute façon.
Tu te perches dans un arbre, de l’autre côté du bâtiment. Le feuillage occulte en partie le soleil, mais tu t’es assez gorgé de chaleur à la forge pour t’en moquer. Tu t’installes, puis observes les allées et venues à travers les fenêtres.
La bipède qui cherche à contrôler ton amie gesticule en face de ta branche, captant ton attention. Elle s’agite avec une bougie et un bâton fondu devant une pile de documents, projetant autour d’elle un sentiment d’intense concentration. Tu ne comprends pas ce qu’elle trouve de si intéressant à ces papiers : c’est infect à manger et ça brûle trop vite pour jouer avec.
Le coin d’une feuille s’embrase d’ailleurs quand la bougie se renverse. Une flamme orangée gonfle et prend de l’ampleur, avant d’être jetée au sol, puis piétinée. La fenêtre s’ouvre en grand quelques instants plus tard et la bipède quitte la pièce dans un claquement de porte. À la façon dont sa fureur s’attarde dans l’air, tu la devines incommodée par les odeurs. Ce n’était pourtant pas grand-chose…
Tu profites de cette absence pour te rapprocher, le rebord du bâtiment t’offre un perchoir idéalement placé. À l’intérieur, des blocs de papier cerclés de cuir s’entassent contre les murs. Ils ressemblent à ceux que cherche ton amie, ceux qui accaparent ses pensées ces dernières semaines. Tu pourrais en récupérer un pour elle…
L’idée du bonheur qu’elle éprouverait en découvrant un tel cadeau te galvanise. Tu sautilles à l’intérieur de la salle, puis volettes jusqu’au volume qui dépasse le plus. Tu t’y arrimes avec tes griffes, mais il est lourd, plus que prévu. Tu n’arriveras jamais à le soulever sans aide.
Qu’à cela ne tienne, il te suffit d’en demander.
Une requête mentale ameute plusieurs de tes camarades, dont deux bien plus massifs que toi. Vous devenez même rapidement trop nombreux. Les battements d’ailes se multiplient, à tel point que tu rappelles tout le monde à l’ordre : il faut rester silencieux, ou des bipèdes viendront vous chasser.
Ta réprimande calme les ardeurs, les plus petits de tes congénères se posent sur le rebord pendant que les autres se préoccupent du cadeau à transporter. En vous y mettant à quatre, vous faites basculer le lourd volume entre les griffes du plus puissant d’entre vous.
Vous vous empressez de ressortir pour contourner le bâtiment, direction la chambre aux jolies images. Son occupante dort toujours, mais si vous ne lui livrez pas votre colis très vite, il finira par vous échapper. À moins que l’un des bipèdes vous repère et vous chasse…
De froids barreaux obstruent l’accès à sa fenêtre, comme d’habitude, mais ça ne vous empêchera pas de la réveiller. Avec un peu d’élan, vous cognez votre cadeau contre le métal, laissant les vibrations résonner dans les murs. Puis vous recommencez, scrutant avec attention les pensées de ton amie.
Son esprit se trouble, mais il lui faut du temps pour émerger, puis pour identifier l’origine des bruits. Quand elle comprend enfin la situation, elle se précipite pour vous rejoindre. Vous lui confiez aussitôt votre chargement, fiers de la surprise qui tourbillonne dans sa tête.
Quand l’étonnement s’estompe, il laisse cependant place à une frustration manifeste. Votre cadeau lui plaît, sans le moindre doute, mais il lui pose problème. Des images des barreaux de sa fenêtre s’enchevêtrent dans ses réflexions, l’obnubilent… Assez pour te faire douter. Était-ce une mauvaise idée ? Auriez-vous dû vous abstenir ? Déposer votre colis ailleurs ?
Tes inquiétudes la secouent, elle s’empresse de t’envoyer des ondes rassurantes. Sa tête fourmille d’hypothèses pour forcer le passage de l’objet, quitte à le découper en plusieurs morceaux. Elle retrouve confiance en elle, assez pour te convaincre qu’elle s’en sortira.
Rasséréné, tu te loves contre sa main, savoures le contact de ses doigts contre tes écailles. Plusieurs pensées envieuses te parviennent, mais la plupart de tes camarades se satisfont de vivre le moment par procuration.
Après avoir longuement profité de l’instant, tu te secoues pour en venir à ton deuxième objectif : partager les images de la veille. Celles que ton amie désire tant, celles pour lesquelles tu as bravé la magie…
Son enthousiasme quand elle comprend ce que tu as capté compense au centuple les inconforts de la soirée, ta fierté atteint de nouveaux sommets. Tu es son ami, elle peut compter sur toi !
Elle s’empresse de se vider l’esprit pour laisser place à tes transmissions. Tu lui partages ce que tu as perçu, même si tu ne comprends pas ce qu’elle y cherche avec tant d’attention. Des bipèdes, encore et toujours, dans des successions de situations sans liens ni intérêt… Pourquoi ne se contente-t-elle pas d’admirer les jolies couleurs ?
Celle qui projette les images trouve cependant du sens à tout cela, elle formule des hypothèses, tente des rapprochements… Ses réflexions se poursuivent bien après la fin de ta diffusion, au point que tu décides de lui donner de petits coups de museaux pour rappeler ton existence.
Elle s’ouvre à toi de nouveau et sa reconnaissance rayonne jusqu’au fond de ton cœur. Tu baignes un instant dans le chaud cocon de ses sentiments, puis y ajoutes le bonheur que tu éprouves en sa présence. Tes congénères se joignent au moment depuis un coin de ton esprit, même si elle ne les percevra pas – ils se trouvent trop loin pour elle.
Vous profitez longuement de cette communion avant qu’elle se préoccupe à nouveau de votre cadeau. Elle tente maladroitement de le glisser entre les barreaux : d’abord la grosse épaisseur solide, puis les feuilles de papier, les unes après les autres. Cela semble fonctionner, mais une attache métallique se bloque contre le mur. Ton amie s’escrime dessus, jusqu’à ce que le morceau se déchire et la fasse basculer en arrière.
Tu sens la surprise dans sa tête, la douleur de sa chute, mais une panique subite efface tout le reste quand un bipède fait irruption dans la chambre. Vous vous réfugiez aussitôt sur les toits, avant que l’intrus remarque votre présence.
La situation se calme heureusement dans les secondes qui suivent : celle qui projette les images parvient à mettre son cadeau en sécurité, ses pensées s’apaisent dans la foulée… Vos secrets seront préservés.
Ton amie ne semble cependant plus en état de vous offrir de spectacle coloré, elle a besoin de repos. Ce n’est pas grave, tu reviendras un autre jour. Son enthousiasme face à tes surprises valait déjà le déplacement.
Tu prends ton envol et te laisses glisser au-dessus des bâtiments, satisfait de ta matinée.